La pratique médicale montre que la maladie se substitue au malade, que le corps n'est plus qu'un objet de science, oubliant que c'est l'homme lui-même dans son entièreté qu'on abandonne à ce processus réducteur. Le corps n'est pas entendu : la science est sourde à son langage. Elle ne peut concevoir qu'aucun moule - fut-il celui de la raison triomphante - ne puisse jamais contenir ce corps qui nous appelle non pour être vu - la science s'en charge - mais pour nous signifier qu'il porte en lui la totalité de l'être de l'homme, d'un homme que la médecine laisse sur le bas-côté de sa route sans comprendre que, victime d'une étrange confusion, elle prend, alors, pour réalité le mirage de la toute-puissance. Comment en est-on arrivé là, à cette exterritorialité radicale du corps qui va, aujourd'hui, jusqu'à remettre en question le fondement même de notre humanité ? C'est ici qu'il faut interroger la philosophie pour essayer de mettre à jour les conditions et circonstances d'élaboration d'une pensée dont l'aboutissement sera l'affirmation du primat de l'âme sur le corps. Il faut montrer que c'est à la doctrine dualiste qu'on doit ce clivage radical, et plus précisément à ses représentants les plus illustres que sont Platon, qui fit du corps "un tombeau" et Descartes, qui en fit "une machine", son dualisme perdurant encore aujourd'hui tant il fut nécessaire à l'éclosion de la science. S'il est vrai que sans lui l'Occident n'aurait pas connu de révolution scientifique, il n'en demeure pas moins que le corps en paye un lourd tribut car notre modernité, confondant réel scientifique et totalité du réel a, dans un effet d'entraînement, pris pour seule référence le "corps-donné-par-la science", méconnaissant le "corps-chair", "corps-de-vie" qui spécifie l'être au monde de chacun dans sa singularité radicale. Cette confusion conforte le concept d'un homme dont le corps n'est plus qu'une extériorité réduite à la seule matière, à une somme d'organes, au point que le malade n'a plus pour seule présence que celle de sa maladie.